Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Arrived Somewhere

9 juin 2017

Anathema- The Optimist -Juin 2017

optimist-digital-product-420x315

Parler d’ ANATHEMA engage forcément l'affect. Le groupe des Frères CAVANAGH sait plonger son auditoire dans une mélancolie irradiée d'intenses éclats lumineux et c'est toujours l'émotion qui l'emporte, de décharges de beauté en rugissements de tristesse. C’est donc un groupe auquel je tiens tout particulièrement qui présente ici son 11ème album intitulé THE OPTIMIST .

 

 

Lors du concert donné à Caen le 12 novembre dernier, ANATHEMA présenta quelques nouveaux morceaux, dont Ghosts, Springfield,The Optimist et Can’t let go intitulé à ce moment “ John Martyn” . Danny expliqua que l'idée de départ de ces nouvelles compositions était de s'intéresser au destin de l'homme protagoniste de leur 6ème opus A FINE DAY TO EXIT, qui abandonne tout et semble sceller son destin en s’offrant à l’océan. 16 années et 5 albums plus tard , nous retrouvons la plage figurant sur la pochette de A FINE DAY TO EXIT .En effet , l’introduction désignée par les coordonnées GPS de ce lieu nous y replace et l’on peut entendre des bruits de vagues, l’homme remontant en voiture , allumant son auto-radio . On comprend que le personnage est revenu sur sa décision et semble prêt à un nouveau départ. Tout ceci n'est qu'un prétexte, car l'album ne se veut pas concept-album. On ne nous raconte pas d'histoire.Avec ANATHEMA, le propos est universel et parle à chacun de nous. C'est donc à l'auditeur de donner un sens à ce récit inachevé et d'y placer ses propres sentiments, ses peurs, ses espérances, tout comme les membres du groupe l'ont fait en le composant. La musique s’y prête volontiers, on y glisse  voluptueusement . Elle s’avère hypnotique, linéaire et nuancée dans son intensité malgré peu de ruptures, et délicieusement émotionnelle.

ANATHEMA propose ici une habile construction, synthèse de ce qui constitue à la fois sa force et sa personnalité. On retrouve l’identité du groupe que l’on aime tant, et on adhère à leur évolution , aux nouveaux éléments qu'il distille savamment. On retrouve avec un plaisir non dissimulé cette tension contenue qui ne demande qu'à être libérée, ces montées en puissance typiques du groupe . Adeptes du grand frisson à la façon ANATHEMA, vous décollerez sûrement en écoutant The Optimist (le morceau) avec sa douce introduction alliant piano et voix, sa poussée d'adrénaline à l'arrivée de la guitare et de vocaux plus appuyés, la reprise de la mélodie par l'intégralité des instruments dans un climax, où la guitare hurlante vient vous fendre le coeur ,et son accalmie au son de derniers échos. Gageons que Springfield ne vous laissera pas indemne non plus ; à partir de quelques notes simples et de deux phrases scandées par la magnétique Lee DOUGLAS , le groupe nous a concocté une petite pépite d’émotion , qui enfle toujours plus. Dans un rythme implacable et envoûtant, on vibre à l'unisson. La voix de Lee est un nectar, radieuse et touchante dans Endless Ways, lumineuse et aérienne dans Ghosts, elle sait faire irradier les mélodies et les rendre addictives. Depuis A NATURAL DISASTER , ANATHEMA a intégré à sa musique des éléments électroniques. Leur facette électro avait pris beaucoup de place sur le très inégal DISTANT SATELLITES ,décevant certains adeptes qui n’y retrouvaient plus l’identité du groupe sur certains morceaux. En effet, la personnalité d’ANATHEMA semblait y avoir disparu alors qu'elle était paradoxalement fortement affirmée sur d’autres morceaux.Cela sonnait presque comme un adieu au groupe que nous connaissions. Fort heureusement, il n’en est rien , ici l’album opère une synthèse parfaite entre l’ANATHEMA de A FINE DAY TO EXIT et celui de DISTANT SATELLITES .Encore mieux, c’est comme si le groupe , après ses débuts doom-metal , son ancrage atmosphérique,son virage pop-rock, son renouveau progressif,ses envolées symphoniques et des expérimentations électroniques , avait trouvé son mode d'expression le plus efficace, en dosant savamment les différents ingrédients de sa musique.

L'album assume donc pleinement la variété de ces ambiances, même au sein d'un seul morceau.En effet, dans Wildfires ,l'étrangeté de nappes de voix fantomatiques superposées , où l’on sent l’influence de RADIOHEAD (que l'on ressent à de nombreuses reprises d'ailleurs ), côtoyant un martèlement de batterie électro précède un climax propre à ANATHEMA, poussée d'adrénaline soudaine, nous agrippant violemment en nous rappelant le magnifique A Simple Mistake  et son “It’s never too late” (ici transformé en “It's too late”), assurant ici le lien avec l’histoire du groupe. Juste avant, le sombre et jazzy Close Your Eyes  a fait de Lee DOUGLAS la vénéneuse chanteuse d'une boîte de jazz, illustrant l’errance et le spleen , en ajoutant une teinte nouvelle à la palette du groupe. Si l'on devait faire la fine bouche et leur reprocher quelque chose , on dirait qu'il manque dans le chant de Vincent (chant qui avait oh combien progressé depuis leurs débuts!) la grandiloquence, l’intensité qu'il était parvenu à atteindre.Ici on n’a pas la superbe de Flying ou d’ Untouchable , on n’égale pas l’exacerbation de l’émotion d’ Anathema ou de la fin dramatique de The Storm Before TheCalm, pour ne citer qu'eux. Mais si l’on voit les choses autrement ,on peut dire qu'il laisse la place à plus d'optimisme ...justement …. on verse moins dans le  pathos et on se laisse même gagner par des vibrations très positives. C'est le cas avec Can't Let Go qui déploie un rythme rapide,soutenu par une guitare en continue, un morceau à l'énergie contagieuse qui fait du bien Puis, dans le final Back to the start, la voix chaude de Vincent, au timbre rassurant et profond, malgré sa retenue, offre sa place à un très beau déploiement mélodique instrumental, suivi de choeurs optimistes proclamant “ Back To The Start”, apothéose solaire conclusive, quiconfirme la place de choix qu’occupe ANATHEMA dans le cœur de nombre d’amateurs de musiques progressives.

Anathema - Springfield (from The Optimist)





Publicité
Publicité
3 juin 2017

Big Big Train -Grimspound - 28 Avril 2017

grim

La créativité ne semble plus quitter BIG BIG TRAIN. A peine un an après la sortie du monumental Folklore,BIG BIG TRAIN peut se targuer d'offrir à ses fidèles un nouvel écrin à la hauteur de son prédécesseur. Le très inspiré Grimspound ,album compagnon de Folklore,nous démontre la solidité du groupe, où chacun des 8 membres prend sa place avec caractère,dans une harmonie radieuse. Chacun dispose d'un espace d'expression équivalent, pour un travail collaboratif riche et ambitieux :

David LONGDON chanteur multi-instrumentiste,qui brille par ses performances vocales et ses interventions à la flûte , Nick D'VIRGILIO à la batterie, Danny MANNERS à la basse et aux claviers,Rikard SJOBLOM à la guitare et aux claviers ,Rachel HALL au violon , Greg SPAWTON à la basse,Dave GREGORY à la guitare électrique et Andy POOLE à la guitare acoustique et aux claviers. David LONGDON et Greg SPAWTON ,paroliers et compositeurs du groupe ont laissé un espace de liberté à leurs compères qui sont intervenus dans la composition des morceaux.Le groupe en ressort plus solide et créatif que jamais.

BIG BIG TRAIN incarne une force, un ancrage. Le groupe est fermement amarré et fidèle, d'abord au genre progressif, mais aussi à des lieux,des traditions ,des personnages et des symboles . Il tisse des liens et garde précieusement sa cohérence en multipliant clins d'oeil et parallèles par rapport à sa propre discographie.

 

Dixième album du groupe (5ème avec David Longdon),Grimspound offre ses pépites au fil des écoutes répétées et attentives. C'est un foisonnement comportant ses moments de grace, ses étincelles de génie, qui suppose de l'auditeur une attention soutenue,dans la plus pure tradition du progressif. Pour preuve,les deux morceaux fleuves de l'album Brave Captain et A Mead Hall In Winter ,qui regorgent d'ambiances changeantes,d'alternances rythmiques,de ruptures,d'envolées,d'accalmies et de variations mélodiques.Brave Captain ,passionnant, marie la guitare dramatique et le violon aérien,enrobant le tout dans des sonorités envoûtantes de clavier,qui ne sont pas sans rappeler CAMEL. Tel l'aviateur jaillissant des nuages,la musique irradie ou se suspend délicatement. A Mead Hall In Winter n'en finit pas d'étonner. On savoure la succession des différents tableaux et les différentes incursions du thème entre les ruptures. On assiste à l'avènement de la basse prégnante sur violon gracile et choeurs de velours.Est construite une superposition de couches sonores, comme une multitude de voix qui donnent une épaisseur savoureuse à l'ensemble. On est témoin de la démonstration de force du clavier facétieux et libre, qui déroule avec audace une vaste gamme d'idées . La batterie de Nick D'VIRGILIO est débridée,il participe au déluge avec maestria.

Big Big Train n'est pas en reste sur les morceaux courts,où chaque instrument a l'opportunité de briller. C'est le cas par exemple dans On the racing Line ,où chacun apporte sa touche : piano trépidant,batterie bouillonnante,tristesse des cordes et mélancolie de la flûte venant rompre cette frénésie, puis sons étranges de clavier sur guitare volubile.

 

Grimspound constitue la suite ou le second volet de Folklore. Certains passages de batterie du morceau-titre furent enregistrés par Nick au studio Real World au moment de l'enregistrement de Stone and Steel. Ce titre devait figurer sur un EP devenu donc un album. The Ivy Gate prit naissance en même temps que le morceau Folklore .En effet, il découle d'une expérimentation au banjo qui ne trouva pas sa place dans le morceau et qui constitue la trame d'une nouvelle idée. A Mead Hall In Winter était au départ voué à figurer sur Folklore mais il ne fut pas terminé à temps . Pour Grimspound, Rikard l'a retravaillé et enrichi , le transformant en cette pièce épique. Ce morceau est également une revisite du thème de The Underfall Yard . On The Racing Line reprend l'histoire de Brooklands et son personnage John Cobbs,tandis que nous retrouvons l'Uncle Jack de English Electric dans l'ambiance pastorale de Meadowland. Ces personnages récurrents côtoient dans Grimspound d'autres héros ,le capitaine Albert Hall,héro national,aviateur au destin tragique de la première guerre mondiale,dont l'histoire avait ému David Longdon lorsqu'il était enfant, et l'explorateur Captain Cook et son équipage de scientifiques ,botanistes et astronomes qui illuminèrent le monde de nouvelles connaissances.

Comme inondé des valeurs des Lumières ,le ton de l'album est d'un optimisme farouche,la tension qui enfle ,souvent dramatiquement,se mue toujours en un délicat mouvement d'apaisement . Le chant de David LONGDON ,dont le timbre rappelle celui de Peter GABRIEL,allie puissance et retenue.Avec subtilité ,il fait jouer variations vocales et mosaïque d'intentions. Dans le très folk The Ivy Gate, morceau à l'humeur changeante,comme le temps sur la campagne anglaise,David interprète des mélodies déchirantes,suivies de passages désabusés et d'instants empreints de douceur,laissant s'exprimer Judy DYBLE et son timbre diaphane.L'interprétation de David LONGDON dans Meadowland est une bouffée de sérénité. Au milieu de notes cristallines de violon,d'arpèges étincelants de guitare et d'un piano enjoleur ,la mélodie se révèle apaisante,le texte positif,assertion de la confiance en l'Humain,rassemblé dans un lieu idéalisé où la communication est possible. En nos temps troublés,de tels morceaux sont des refuges .

 

L'album est ambitieux,sur la forme comme sur le fond. Le symbolisme du corbeau « Grimspound »,escortant l'âme du monde des vivants au monde des morts représente la mémoire des ancêtres. Ce qui reste et témoigne du passé ,thème cher à BIG BIG TRAIN , rend perceptible le lien qui subsiste de manière intemporelle au sein de l'humanité. Cette idée donne lieu à une ambivalence de sentiments dépeinte dans le morceau-titre,qui navigue entre légèreté et atmosphère onirique, gravité et profondeur,bouffée d'optimisme et enfin,accès au sacré avec une conclusion laissant résonner une langue mystérieuse ,qui nous rappelle le superbe passage du même type dans The Transit Of Venus Across The Sun, surFolklore. Il s'exhale de ce morceau la magie des cercles de pierres,tel celui de Grimspound,au sud de l'Angleterre,dans la région du Dartmoor.

A l'image de cette musique aux multiples visages,ces dômes de granit habillés de bruyères et de lande,recouverts de lumière ou de rubans de brouillard,peuvent se révéler ravissants ou troublants de gravité.Alors ,on traverse les morceaux comme on traverse les rivières,on se niche dans les vibrations douces comme dans les combes,on s'extasie des harmonies vocales et des performances des musiciens comme devant un paysage teinté de romantisme et l'on goûte avec interêt au message porté par cet album exigeant,foisonnant et porteur de sens.

Experimental Gentlemen (Part Two: Merchants of Light)

 

24 février 2017

The Mute Gods- Tardigrades Will Inherit the Earth - Février 2017

 

the_mute_gods-tardigrades_will_inherit_the_earth

Nick Beggs ne passe pas inaperçu. Sur scène avec Steven Wilson ou Steve Hackett, son charisme attire les regards et l’attention. Cette personnalité singulière, auréolée de sourire et animée de talent, cultivant une forme de thèse du complot sur fond d'humour décalé, un peu déjanté, s'exprima lors de la sortie de Do Nothing Till You Hear From Me,il y a un an. Associé au savoir-faire du batteur Marco Minnemann ( The Aristocrats) et du clavieriste et arrangeur Roger King ( Steve Hackett), The Mute Gods a alors offert un rock progressif lorgnant vers le heavy ,le jazz ou le funk, se reposant parfois dans la douceur de ballades pop soyeuses. Manifeste de méfiance à l'égard des dirigeants de ce monde, entre mensonges et secrets bien gardés. Avec Tardigrades Will Inherit The Earth, The Mute Gods explore une face encore plus sombre du destin de l'homme, qui est cette fâcheuse tendance à l'autodestruction. Plus obscur, l'album rappelle la fragilité de nos existences, tout en dénonçant le rôle distractif des médias et des politiques. Influence incertaine des technologies, croyance aveugle en des dieux restant muets, environnement en danger, c'est beaucoup de craintes et peu d'espoir qui se diffusent de l'ambiance générale de cet album.



Après une introduction instrumentale où clavier et guitare nous baignent dans une ambiance dramatique et enivrante à la manière de Steve Hackett, les trois morceaux suivants (Animal Army, We Can’t Carry On et The Dumbing of The Stupid) changent de ton pour un caractère rock plutôt féroce. Ces morceaux ne se révèlent vraiment que lorsque les instruments prennent le pouvoir. En effet, la voix, peu puissante, gorgée d’effets, montre ses limites. Les mélodies répétitives, parfois fades ou dénuées d’émotion,ne séduisent pas forcément. Nick utilise la voix parlée et la réverbération, une voix déguisée, représentant peut-être les médias sous leur masque de séduction des masses. Les qualités d’instrumentistes des trois compères, elles, sont bien présentes, et lorsque la guitare sombre dévoile ses nappes ou qu’elle crie, semblant projeter des rais de lumière, nous voilà éblouis. Quand la batterie s’anime , que la basse se fait reine, que la grosse caisse gronde , nous voilà emportés. Musclé, The Dumbing Of The Stupid offre une belle conclusion. La guitare désinhibée, à l'allure déglinguée, s'envole de façon dispersée, les notes décollant telle une nuée d'oiseaux.

Listen to me now” déclame Nick. À ce moment, on est bien décidé à le suivre. C'est donc avec une attention renouvelée que l'on découvre Early Warning. L'ambiance y est grave, la voix plus posée et plus maîtrisée .La mélodie mélancolique se tisse sur un canevas d'arpèges de guitare. Le travail des claviers y est remarquable, parfaite illustration du message pesant qu'on nous délivre, la menace d'un futur sombre .Surprenant, Tardigrades Will Inherit The Earth fait référence à ces êtres microscopiques pouvant résister à des conditions extrêmes, qui seront peut-être un jour les derniers habitants de ce monde. Le morceau peut laisser perplexe au premier abord. Ancré dans une esthétique Darkwave , avec cette voix éraillée, cette diction saccadée, il nous replonge par exemple dans l'univers de Joy Division. Ce clavier à la sonorité connotée newwave nous ramène à nos chères années 80 et leur énergie acidulée. La surprise passée, le morceau se révèle addictif, voire jubilatoire. Sous les abords légers d'un clin d'œil au passé ,Nick sait nous toucher et nous faire adhérer à 100 % à cette composition aussi typée.Efficaces, les notes de guitare répétitives et le clavier sautillant qui soutient la mélodie s’agrippent à vous, redoutablement. Window onto The Sun  est une belle réussite, dotée d’une basse qui claque divinement et d’une guitare resplendissante. La mélodie séduisante ne souffre pas de faiblesse vocale car celle-ci est compensée par d’habiles superpositions. Balayant en partie mes doutes de départ,je constate que The Mute Gods est bel et bien inspiré ! Pour preuve deux superbes instrumentaux, le fragile Lament, effectué au Chapman stick, avec une délicatesse extrême et enrobé de sons de cordes, et l’énergique The Andromeda Strain ,à la basse puissante et au son de clavier semblant sortie du Camélien Moonmadness. On embarque dans ces univers avec délectation mais le voyage est bien trop court... Encadré par ces instrumentaux, The Singing Fish of Batticaloa s'impose pour moi comme le titre-phare de l'album. Pop progressive parée d'une mystérieuse mélancolie, il fait vibrer les imposants claviers oniriques  de Roger King. Les poissons chantants du Sri Lanka (phénomène réel que l'on entend dans le morceau ) sont le point de départ d'une composition empreinte de fascination et d'une aérienne magie. Avec Stranger Than Fiction ,The Mute Gods veut conclure l'album sur une note optimiste, avec l'amour pour remède. Cette composition restera pourtant trop banale pour nous emporter.

L'album nous laisse constater à nouveau l'immense qualité de jeu de Nick Beggs , Marco Minnemann et Roger King, chacun virtuose dans son domaine. Talentueux dans l'art d'offrir une musique hybride, décomplexée, faisant cohabiter ballades ultra satinées et trépidations véloces , Nick et sa bande font fi des carcans . Ils affirment ici avec force leur sincérité et leur plaisir de jouer. On ne peut pas y rester insensible.

 

19 février 2017

Lisa Gerrard and Pieter Bourke - Duality -1998

 

220px-Duality_Lisa_Gerrard

Aborder un album de Lisa Gerrard, c'est comme se trouver devant une forteresse couleur de jais, intimidante et imposante. Cette musique semble si impénétrable ...On tâtonne, comme effleurant  des pierres colossales à la recherche d'une porte. Enfin, on entre et on laisse le mystérieux bâtiment nous accueillir en son sein. Mais c'est seulement si l'on accepte de s'y perdre que l'on découvre les lieux secrets qui s'y cachent.



Pour son deuxième album en solo, Lisa a collaboré avec le percussionniste australien Pieter Bourke, avec qui elle avait déjà travaillé sur The Mirror Pool et sur la tournée Spiritchaser avec Dead Can Dance. La musique de Lisa garde la même esthétique, ces mêmes atmosphères mystiques ou pesantes et ce goût affirmé pour les rythmes tribaux ou orientaux .C’est là que le talent de Pieter Bourke peut s'exprimer pleinement.



La première apparition qui s'offre au visiteur attentif, c'est le spectre plaintif de Shadow Magnet qui hante les corridors dénués de lumière.

Soudain, comme si l'on ne soupçonnait pas la vie qui s'y cachait, surgit un espace peuplé qui se colore, au rythme chaloupé des percussions orientales. L’étroit couloir se change alors en une rue animée et vivante. Dans un lieu plus confidentiel, Tempest  dévoile une chambre secrète, repère de magie noire qui laisse résonner les accents cérémoniaux d'un rite ancien. Le chant se montre malicieux ,velouté et se mélange harmonieusement aux  ornementations vives que Madjid Khaladj, maître des percussions iraniennes ( tombak, daf et zang), fait pleuvoir avec toute son expertise. Forest Veil place l'auditeur au centre du bâtiment, dans un jardin persan, pour une déambulation poétique dans un paradis botanique où peuvent naître les rêves. The Comforter et The Unfolding guident nos pas vers le temple, lieu des résonances sacrées. Là, les voix entrelacées et leurs vibrantes harmoniques éclatent le long des voûtes.Le visiteur des lieux se trouve malgré lui percuté et enveloppé de vibrations magnétiques, délicieusement engourdi par la force surnaturelle émanant de la céleste voix de Lisa. Le rythme lent et la voix hypnotique de Pilgrimage of Lost Children maintient l'auditeur dans son engourdissement et le guide irrésistiblement vers d'autres horizons. Au terme d'une progression ascensionnelle,nous voilà postés au sommet d'une tour d'où notre regard peut se perdre sur l'étendue d'un désert brûlant, les tempes battant au rythme des percussions lentes, implacables. Puis c'est l'éveil, le sentiment de clairvoyance. Le superbe The Human Game se déroule de façon radieuse et se révèle la plus belle composition de cet album.On fait irruption dans la colossale et chatoyante salle de réception pour un moment d'exaltation. Après une introduction aérienne et intense, Lisa  y délaisse sa précieuse glossolalie pour un chant en langue anglaise. Elle utilise sa voix de façon différente, dans la retenue, sous une cascade de percussions et de lumineux yangqin. Le rythme, dansant, et les voix d'enfants invitent au bonheur et à sa célébration. La voix semble parfois chevrotante est fragile, contrastant avec la gravité et la puissance qu'elle insuffle dans la partie finale. Avec Sacrifice, Lisa élève son chant pur et divin .On retrouve la magie de Sanvean et sa beauté tragique. La forteresse se fissure, les murs tombent . L’éblouissante prestation vocale réduit en poussière les lieux sombres où l'humain se retranche. Il les vaporise en des milliers de particules de lumière. Les éclats d'or déposés tracent un chemin de joie d’où, au rythme plus léger de Nadir, l'optimisme sort vainqueur .



Lisa Gerrard poursuit ses pérégrinations exotiques et mystiques, évoluant dans le style unique et hors-norme qu'elle a créé avec Brendan Perry pour Dead Can Dance , durant presque deux décennies. Elle s'épanouit en solo à présent mais ne manque pas d'enrichir son travail et son expérience de nombreuses collaborations. Duality marque une nouvelle communion artistique ,cette fois avec Pieter Bourke. Elle unira  également son talent à celui d’ Hans Zimmer pour Gladiator en 2000 et Marcello De Francisci pour plusieurs longs-métrages et l'album Departure.Elle collaborera avec le compositeur irlandais Patrick Cassidy en 2004 pour l'album introspectif Immortal Memory.En 2008,c’est à Klaus Schulze, pionnier de la musique électronique , qu'elle prêtera sa voix.

Lisa poursuit donc son chemin,s’abreuvant d’expérimentations et de rencontres . Pourtant, elle

garde ce qui fait d'elle une artiste unique, ce goût pour les univers captivants, intenses et

contemplatifs et surtout ce chant profond, étonnant, presque irréel, produit d'une émotion pure.

 

LISA_GERRARD_DUALITY-497714

 

18 décembre 2016

Cosmograf-The Unreasonable Silence- Juin 2016

 

COS06-FRONTCOVER

Une errance nocturne, une route de campagne, un moteur, des voix, des pas, les lumières qu'on imagine dans la pénombre. Le silence de la nuit soudainement habité de vrombissements , le goût magnétique du surnaturel: l’introduction captivante du nouvel album de Cosmograf The Unreasonable Silence nous happe et , aussi clairement que l'image d'un film s’imprimant sur la rétine, le son vient titiller nos imaginations fertiles pour nous conter l'histoire d'un homme perdu dans un monde incompréhensible.Robin Armstrong nous livre une relecture de la philosophie de l'absurde de Camus à travers les tourments d'un homme désirant connaître sa raison d'être et qui cherche à être sauvé, pensant qu'il peut exister à nouveau au-delà du monde des humains.

 

Avec This Film Might Change Your Life , le voyage commence. Les bruitages étranges illustrant le contact avec des entités extraterrestres précèdent une étonnante salve de tirs de bataille stellaire, suivi de la retransmission d'une communication spatiale.Ces nombreux effets sonores permettent à Robin de donner à ses compositions beaucoup de caractère, et quand la batterie et les guitares s’en mêlent, c'est un déferlement de puissance. Au milieu trône un clavier tantôt euphorique, tantôt céleste.Robin se lance dans un solo de guitare brillant, associé à la basse musclée, pour un instrumental épique. Le chant est assuré,la mélodie efficace, ponctuée de séquences vocales déformées et inquiétantes. Après cette intense entrée en matière ,la guitare se fait mélancolique. Nous pouvons entendre un message de répondeur et devinons que le héros de notre histoire ne répondra pas.Non, au lieu de cela ,Robin se livre à l’ interprétation d'une mélodie tristement radieuse ,celle de Plastic Men ,où l'intensité du refrain livre l'énergie du désespoir.

Arcade Machine transpire l'anxiété et la paranoïa. Au départ, la voix de Robin lancée à pleine puissance insuffle une grande tension dramatique. Puis, le morceau alterne avec habileté des passages intensément sombres faisant résonner voix doom et riffs heavy et des passages psychédéliques de clavier et de guitare associés à un chant rappelant Waters. La voix d'outre-tombe ( ici d'outre-monde) installe une ambiance noire illustrant l'aliénation, la dématérialisation du monde virtuel. Dans la conclusion, magnifique, un solo de guitare de toute beauté illumine ce monde obscur.

RGB nous rappelle que Robin est un admirateur de Steven Wilson et que l'œuvre  de ce dernier a laissé en lui une empreinte forte. Au milieu de superbes envolées Wilsoniennes, on entend une voix presque métallique dans une atmosphère ouatée. Témoignage d'une âme confuse, faisant face à l'isolement , à une addiction télévisuelle et à de sévères hallucinations. Moment de folie d'un esprit embrumé, imbibé de folklore concernant les UFO et les aliens. Ils sont là, il les entend... “ We are coming for you”....

Entrée dans un prog rock  rayonnant, avec Four Wall Euphoria , habillé de choeurs vibrant à la manière des envolées de Pink Floyd. C'est ici la voix de Rachael Hawnt qui, entre autre, fait merveille, secondant la mélodie affirmée de Robin. Au gré de palpitations sonores dominées par une basse ultra- présente et un clavier mouvant, on nous enveloppe de guitares distordues puis funky. On nous injecte une bonne dose de substances addictives dans le dernier quart du morceau, monologue sur basse fiévreuse irradiant d'un sentiment d'urgence. Puis, on sombre en plein délire paranoïaque avec The Uniform Road . Gorgé d’effets sonores, de messages bienveillants et inquiets contrastant avec de menaçantes voix extraterrestres, le morceau se développe dans des riffs brutaux et des vocaux à pleine puissance. La section rythmique redouble d'énergie. Le résultat est un pur régal sonore qui nourrit à la fois  sens et imagination.

 

On ne compte pas un seul morceau faible sur cet album, mais mieux que cela, les trois derniers en sont l’apothéose. Apaisés, ils figurent la délivrance et le départ vers un monde meilleur. L’errance nocturne qui nous avait été présentée en introduction prend sa place dans la narration dans le court morceau The Silent Field . La rencontre salvatrice a lieu dans un univers sonore d'une profondeur intense. La nuit nous englobe, dans la solitude de la campagne, laissant s’épancher le mystérieux et le surnaturel. On quitte  la pesanteur terrestre avec le petit joyau hypnotique Relativity. C'est le morceau qui évoque le plus Porcupine Tree, en particulier dans sa partie finale, où la tension créée par la basse, suivie  d'un superbe déluge de guitare ,se situe quelque part entre Deadwing et Hatesong. Le final The Unreasonable Silence,floydienne pièce maîtresse de l'album, en est une parfaite conclusion. Guitare cristalline, mélodie veloutée, impression de flotter au-dessus de toute tension sur des notes de claviers rêveurs. Décollage vers l’inconnu ,déferlement d'émotions ….” Tell me now where you are”...déclame avec majesté Rachael Hawnt ,avant que la dernière vibration sonore ne soit rompue par un coup de feu, brutal, inattendu, et suivi d'un silence glaçant. On en ressort soufflé, tout simplement.

Expérience auditive globale et intense, on entre en immersion totale en écoutant The Unreasonable Silence. Robin Armstrong démontre ici son perfectionnisme dans la texture du son qui veut délivrer, sans compter la qualité remarquable de ses compositions. En s'entourant de pointures telles que Nick D’Virgilio à la batterie ( sur tous les titres), Nick Beggs et Dave Meros à la basse, il livre un petit bijou, à côté duquel vous ne devez pas passer.

Cosmograf - "The Unreasonable Silence"

Cosmograf - The Unreasonable Silence - Trailer#1



Publicité
Publicité
10 novembre 2016

Brendan Perry-Eye Of The Hunter -1999

Eye_of_the_Hunter_(Brendan_Perry_album)_cover_art

À l'opposé de ce qu'a proposé Dead Can Dance et ses expérimentations rythmiques et sonores, Brendan Perry livre en 1999 Eye of the hunter  son premier album solo , dans lequel il se dévoile, dans une simplicité à l' efficacité redoutable.

Alors que Dead Can Dance s’est toujours affranchi de catégorisation, Brendan compose là un album qu'on peut qualifier de folk. Inscrit profondément dans son expérience personnelle, traitant de sujets intimes tels que la relation entretenue avec son père ou de sujets plus universels comme la disparition, la colère, l'inertie ou l'amour, Brendan compose une musique plus dépouillée, aux percussions minimales. Il laisse place à la voix, au chant et au lyrisme. Il taille la part belle à l'émotion véhiculée par le texte, indissociable de l'efficacité de mélodies puissantes, et c’est sa voix qui fait merveille, toujours plus profonde est saisissante.

 

Dans un souffle lent, l'album fait d'abord résonner la voix chaleureuse et veloutée de Brendan, déroulant les notes radieuse de Saturday's Child. Grâce à cette voix pleine, parfois intentionnellement éraflée , toujours gorgée d'intentions,on chavire dans un puits de douceur.

La douce réverbération de la voix de Brendan surplombe avec enchantement les arrangements subtils de clavier et de guitare .

Voyage of Bran irradie lui aussi, dans un mouvement tournoyant, si lent que la musique semble suspendue ,jusqu'à l'immobilisation finale.

Des arpèges de guitare comme fil conducteur à la contemplation, de tristes résonances de cordes comme compagnes, dans un espace semblant insondable, voilà comment Brendan parvient avec Maestra à nous pétrifier. Le charme se poursuit dans la savoureuse aspiration de la valse ténébreuse intitulée Médusa, au son de cordes et d’enivrants claviers, aussi glaçants que le regard de la Gorgone

On quitte cet état extatique pour apprécier Sloth et ses accents country .On se régale de la performance vocale sans faille de Perry, qui trouve là encore une très belle occasion de laisser sa voix sombre et mélodieuse s'exprimer. Sa maîtrise vocale n'étant plus à démontrer, il se livre ensuite magnifiquement à une reprise d'un morceau de Tim Buckley  I must have been blind, revendiquant définitivement son intérêt pour le folk song des années 60. Une voix, des instruments acoustiques, la simplicité, l'authenticité au service de la mélodie. Des notes de pedal steel guitar enlacent les envolées vocales illuminées d'écho de Brendan, qui apportent leur touche de magie à ce morceau, spécialement dans le final, cousu de claviers chavirants.

Feutré,  The Captive Heart prend place dans un univers jazzy. L'expression des cymbales, tout en retenue, élément essentiel du groove jazz, anime le morceau. Le chant, élégant, satiné, vibre avec classe et en impose par sa présence. On se sent enveloppé dans une bulle soyeuse. Brendan y apporte là encore sa touche crépusculaire à travers l'utilisation d'un cor et lorsqu'il fait pleuvoir dans sa conclusion une mélodie plus dramatique, du plus bel effet.

Retour dans un univers country, voire blues, avec  Death will be my Bride  et sa guitare flegmatique, morceau trop lisse peut-être …

On retrouve ,pour finir ,Brendan, le passager céleste, dans un morceau épuré, perclu de vibrations magnétiques à la Radiohead. Archangel alterne vocaux hauts perchés et voix pleine et affirmée et pour finir, nous permet de renouer avec bonheur avec l'ambiance stellaire de How Fortunate the Man with None d’ Into the Labyrinth, morceau conclusif au même goût d’infini.

Que sa musique se révèle folk, qu'elle prenne des accents country ou baigne dans les vapeurs d'un club de jazz, brendan Perry ne se départit jamais de la mélancolie qui façonne sa personnalité artistique. Il nous rappelle alors le paradis nocturne qui savait tant nous enivrer avec Dead Can Dance et délivre une musique toujours nimbée d’une aura lunaire. Sur un tissu de sujets désenchantés, il sait pourtant nous mener vers son royaume d'apaisement, dans cet album brodé d'une délicate quiétude.

 

BRENDAN PERRY | Medusa

20 octobre 2016

Opeth - Sorceress - Septembre 2016

opethsorceressfinalcd

Depuis Heritage en 2011, Opeth s'épanouit hors des sentiers Death Metal qui l'avaient vu naître,mais aussi évoluer. Car depuis longtemps ,le feu progressif couvait,les compositions jouaient avec l'ombre et la lumière,les instruments s'offraient des escapades,à la recherche d'un autre souffle. Durant cette même année 2011 , Mikael Akerfeldt et son complice Steven Wilson préparaient une œuvre plutôt d'avant-garde , à la fois déstabilisante et captivante , qu'ils livrèrent en 2012 sous le nom de Storm Corrosion. Mais la métamorphose d'Opeth avait été déjà bien amorcée en 2002 et en 2003 avec les sorties successives de Deliverance et Damnation, deux albums antagonistes ,l'un prenant la forme d'une créature noire,violente et torturée,l'autre incarnant la douceur et la mélancolie. On retrouve dans Sorceress cette complémentarité.

 

Akerfeldt,compositeur talentueux,mais aussi mélomane à la culture musicale dense,ne pouvait se borner à écumer un style. Ici, le large éventail de son horizon musical apparaît ,la diversité de ces nouvelles compositions nous démontrant aussi sa liberté artistique .

Sorceress affirme une musicalité polyglotte et nous parle à différents niveaux,de riffs brutaux en arpèges raffinés. Les compositions touchent car elles parlent à chaque versant de nos personnalités.

Ainsi l'aspect métal est toujours très présent ,avec des morceaux pêchus comme Era , Chrysalis ou The Wilde Flowers,aux riffs lourds et à la basse très mise en valeur . Cette basse se révèle d'ailleurs un peu trop envahissante .Mais Opeth fait oublier ce défaut de mixage par la la qualité d'écriture et d'exécution de ces compositions.Entre deux morceaux heavy ,libérant une énergie contagieuse,on voyage en d'autres sphères ,dans la douceur des arpèges de l'introduction Persephone ou à travers le ravissement mélodique du folk Will o The Wisp .On erre dans le tortueux Strange Brew ,prog et volontairement déstructuré. Parfois , il nous semble retrouver le son de Storm Corrosion ou de Damnation ( Sorceress 2, Strange Brew). On pense aux artistes qui ont pu influencer le groupe ,mais Opeth affirme tant sa personnalité ,plus que ses influences , qu'on peut laisser de côté ces comparaisons et simplement apprécier cet album tel qu'il est.

L'album est rythmé par ces allers-retours d'un univers musical à l'autre.Comme dans Heritage, il est encadré par deux morceaux courts ,épurés et mélancoliques, il possède son lot d'éléments décalés à la Nepenthe, son hommage à un rock torrentiel dans Chrysalis ,à la manière de Slither, il détient son hymne :Era ,à la manière d'un The devil's Orchard oud'un Eternal Rains will come sur Pale Communion. On pense également aux percussions de Famine en écoutant l'orientalisant The Seventh Sojourn . Oui, Opeth fait du Opeth ,à n'en pas douter, et cette recette ne cesse de nous régaler ! On traverse les arpèges légers et hautement mélancoliques avec un plaisir aussi immédiat et intense que lorsque les claviers percutants nous laissent abasourdis (comme dans l'intro détonante de Sorceress) ou que les riffs addictifs nous harponnent entre deux solos de guitares bien sentis.

La voix de Mikael Akerfeldt est un ravissement. Dans Will o The Wisp, elle porte le morceau et imprime en nous une mélodie imparable. Le travail de tous les musiciens est d'excellente facture (écoutez dans Strange Brew l'impressionnant travail du batteur Martin Axenrot et la guitare de Fredrik Akesson évoquant celle d'Hendrix ,entre autres petites merveilles « guitaristiques »).

Joakim Svalberg n'est pas en reste en produisant un travail d'orfèvre avec ses claviers. Les membres du groupe semblent être en phase.

L'album offre de véritables moments de grâce, A Fleeting Glance en est un ,avec cette puissante mélodie qui soulève. Il offre aussi la promesse de moments épiques en live,de moments de communion intense avec le public,lorsque retentiront les notes d'Era ou de Sorceress.

 

Opeth, malgré le peu de temps dont il a disposé pour composer et enregistrer cet album, s'en sort avec brio (Mikael explique qu'ils n'eurent que six mois pour composer l'album). On regrette le mix qui met un peu en avant les basses, le son aurait gagné en qualité s'il avait été moins pesant . Cela n'empêche toutefois pas l'auditeur d'être transporté dans le monde clair-obscur d'Opeth,avec le même plaisir qu'à l'écoute de ses prédécesseurs ,Heritage et Pale Communion.

OPETH - Sorceress (OFFICIAL LYRIC VIDEO)

OPETH - Will O The Wisp (OFFICIAL LYRIC VIDEO)

22 août 2016

Big Big Train -Folklore -Mai 2016

folklore

Big Big Train m'avait déjà épatée avec son double album English Electric en 2012. Avec ce nouvel opus, Folklore,le groupe ressort l'artillerie lourde ,son armée d'instrumentistes talentueux, escaladant ces monstres de morceaux,vallonnés , ravinés et sillonnés aux chemins tortueux dévoilant de superbes panoramas. Il est difficile de parler d'une musique aussi riche sans tomber dans l'énumération des différents styles qui façonnent la personnalité du groupe et sans se perdre dans le détail des interventions des instruments qui s'y épanouissent .Ce rock progressif, aux saveurs folk-jazz et symphonique explose,à coups de morceaux à tiroirs maîtrisés de bout en bout, insufflant des climats changeants,distillant une marée d'idées et de mouvements.

 

L'optimisme s'impose au fil des déclamations presque théâtrales de David Longdon ,naviguant avec habileté entre un chant passionné et un jeu de flûte à l'impétuosité euphorique. Ce déferlement d'énergie positive découle aussi des différents modes d'expression instrumentale,glissant avec raffinement. Les morceaux (œuvres de Greg Spawton ou de David Longdon ) laissent pantois quand on pense à la fertilité des imaginations qui ont bâti une matière si complexe ,détaillée,où chaque note, chaque bruissement a un sens et où, à chaque fois,une histoire attachante ou exaltante nous est contée.Cette musique coule,caresse et pirouette admirablement . Tout le plaisir qu'ont les musiciens à jouer ensemble nous parvient en une exquise contagion.Ce plaisir est flagrant lorsqu'on visionne la vidéo du titre Folklore ,le type de morceau qui nous gorge de ravissement . On en savoure chaque mouvement ,admirant la prestation des musiciens,pour chacun desquels un espace d'expression est largement ouvert. Comble de la félicité, la fin du morceau prend la forme d'un passage de relais entre les musiciens qui accomplissent leur solo entraînés par le rythme exalté de la flûte en arrière plan . Ce passage de relais illustre alors le thème de l'album, la transmission d'une tradition,d'une histoire,d'un rite,dans le déroulement cyclique des générations.

 

L'Angleterre ,source d'inspiration souveraine pour le groupe, est encore à l'honneur dans cet album. Big Big Train marque son inscription dans l'histoire de son pays et son enracinement affirmé. Il glorifie au fil de ces douze compositions le socle de leur culture,avec ses contes,ses aventures héroïques, ses croyances et ses pratiques. Avec le tranchant Wassail ,sa batterie et son orgue puissants, David Longdon a crée un hymne en l'honneur de chants païens censés éloigner l'esprit malin et permettre une bonne récolte de pommes. All Along The Ridgeway redonne vie à de vieilles légendes, histoires de dragons ou mémoires de batailles épiques , émanant toutes d'un même lieu,cette fameuse route ancestrale à l'auréole druidique. The Salisbury Giant ,témoin de l'histoire de Salisbury depuis le 14ème siècle ,est le héros d'une nouvelle procession,dans un morceau où la danse du clavier et des violons s'enflamment au milieu du bruit sourd des pas de géant simulés par la basse.Londres est la figure centrale de trois morceaux, London Plane ,ou le passage du temps vu depuis la perspective d' un arbre immortel. De ce lieu fixe on voit défiler les gamins des rues de l'instrumental Mudlarks ,tandis que les rivières s'écoulent elles aussi dans The lost rivers of London.,2 morceaux présents sur l'EP Wassail ,prélude à l'album,paru en 2015.

Le groupe nous raconte aussi la belle histoire de Winkie ,pigeon voyageur de la Royal Air Force qui sauva l'équipage d'un avion écrasé au large des côtes écossaises en 1942 ,en permettant d'orienter les recherches, dans un morceau épique ,tout comme le vol de cet oiseau. Entre moments de douceur et élans grandiloquents,le morceau illustre chaque moment de l'histoire avec un réalisme saisissant. Brookland nous transporte dans un autre lieu porteur d'histoire .Ce morceau est à la fois dédié à un lieu et à la mémoire d'un homme . Telling The Bees est une composition douce et pastorale traitant de la transmission des traditions .

 

Je ne sais pas si cette année 2016 offrira d'autres pépites comme celle-ci mais ,pour ma part, cet album tient le haut de l'affiche. Outre la production impeccable,la grâce classique des cordes et en particulier du violon de Rachel Hall ,la noblesse des cuivres,la complémentarité et la puissance dégagée par les différents claviers (Danny Manners , Andy Poole, Greg Spawton et Rickard Sjöblom) et les guitares de Rikard Sjöblom et de Dave Gregory,le tout rehaussé par la frappe experte de Nick D'Virgillio dans l'ensemble de l'opus ,je suis particulièrement sensible à l'enveloppement crée par la pédale basse associé aux claviers dantesques sur Wassail et Folklore - fabuleux !- à la finesse et l'originalité de l'espiègle Salisbury Giant – irrésistible- et à l'harmonie et à l'aspect mystérieux des voix baignant dans un enchaînement d'accords magiques dans The Transit Of Venus Across The Sun- pain béni pour tout mélomane ...

Folklore by Big Big Train

3 juillet 2016

Lisa Gerrard- The Mirror pool

41B8KEV74WL

C'est en 1995 que sort le premier album solo de Lisa Gerrard : The Mirror Pool .On imagine Lisa Gerrard déjà distante par rapport à sa collaboration avec Brendan Perry dans Dead Can Dance,même si officiellement,il n'en était rien. Avant la sortie de Spiritchaser (après lequel le groupe se séparera),Lisa ressent donc le besoin de partager le travail qu'elle a accumulé pendant nombre d'années et qui n'a pas trouvé sa place dans la discographie de Dead Can Dance.

Se laisser engloutir dans l'univers de la dame est une expérience particulière,même pour des habitués aux atmosphères et aux sonorités de Dead Can Dance. C'est se pencher au dessus de l'eau d'apparence trouble qui s'étire et se lisse en dévoilant la brillance d'un miroir. C'est éprouver l'illusion et oser traverser ce miroir ,se frayant par là même un chemin dans un univers où toute tentative de catégorisation,de description stéréotypée est impossible.

Unique,voilà le premier mot qui vient à l'esprit ,et qui s'impose, lorsqu'en s'autorisant cette plongée périlleuse,on prend la mesure de la démonstration vocale de Lisa Gerrard ,ainsi que de l'originalité, de la variété des atmosphères proposées , résolument hors des sentiers balisés. Ce disque propose un jaillissement ,une profusion d'influences, unies dans la noirceur d'une mélancolie sacrée. Le baroque côtoie l'ethnique. Le monastique rencontre l'exotique. Lyrisme et désolation se succèdent. L'authentique folklore croise des sonorités synthétiques ,répondant au son charnel de l'orchestre.

L'orient embrasse l'occident dans un danse aussi triste que magnétique.On approche des paysages et des époques mystifiés, on parcourt autant de temples brûlants,de forêts enchantées ou maudites ou de châteaux à l'allure altière.

 

Les 4 premiers morceaux s'offrent la majesté d'un orchestre philharmonique (The Australia's Victorian Philharmonic).D'abord le mystérieux Violina (The last embrace) déroule une mélodie aventureuse,prenant de cours l'auditeur ,surpris par tant de variations mélodiques. Le chant est désespéré et la voix de Lisa y est d'une puissance lyrique époustouflante. Dans la deuxième pièce Là-bas,les cordes semblent hésiter entre le grandiose et le funèbre. Lisa utilise sa voix comme un instrument, en la puisant au fond de son être et en délivrant encore une mélodie imprédictible ,faite de descentes vertigineuses dans les graves. Ce registre est peut-être celui qui offre l'aspect le plus spectaculaire de cette voix hors du commun,même si elle brille aussi dans les aigus.

L'épuré Persian Love Song nous laisse le loisir d'admirer là encore les acrobaties vocales de la maîtresse des lieux. Cette pièce traditionnelle du sud de l'Iran est transcendée par la personnalité de Lisa ,qui associe les intonations orientales et les divines vibrations,graciles et lumineuses ,dont elle seule possède les clés. Le fascinant Sanvean peut-êtrevu et entendu sur le live Toward The Within que Dead Can Dance sortit en 1994. On y est alors témoin de l'émotion qui traverse Lisa quand elle l'interprète et que ces notes prodigieuses sortent de sa gorge. Ce morceau au goût d'absolu a le don de pétrifier le public lors des concerts ,Lisa y démontre l'étendue de sa puissance vocale ainsi que le force et la sincérité des émotions qui l'étreignent, et qu'elle transmet.

 

Les trois morceaux suivants sont portés par la saveur tribale des compositions de Dead Can Dance dans Into The Labyrinth et l'exotisme de The Serpent's Egg.On quitte le lyrisme et les envolées classiques de l'orchestre pour l'envoûtement fiévreux de rites ethniques.

D'inquiétantes vocalises s'abattent pesamment . Au dessus du bourdon virevoltent les harmoniques. The Rite sonne d'abord comme une cérémonie chamanique où le mariage des voix de Lisa et de Jack Tuschewski font grand effet. Les percussions lentes de Pieter Bourke ,sous forme d'un simple battement lourd, ajoute leur puissance à la transe ainsi suggérée. Dead Can Dance n'est pas bien loin. On se retrouve dans l'étrange temple abandonné du morceau Toward The Within sur Into The Labyrinth,tandis que le rite prend la couleur du folklore d'Asie Centrale de Chant Of The Paladin sur The Serpent's Egg. Ajhon nous évoque évidemment le travail effectué avec Brendan Perry ,d'abord par son titre (rappelons qu'un des albums du groupe s'intitule Aion ) et par son paysage sonore tout droit tiré d' Into The Labyrinth .Vocalises aigües et sons à la teneur orientale,même usage des percussions et de bruitages d'oiseaux,sur fond d'ambiance inquiétante,dans une forêt moite,aux prises avec un danger ou avec la présence fantomatique d'un rite obscur : tout nous replonge dans l'offrande labyrinthique du groupe , deux ans plus tôt .

Puis c'est en Inde que Lisa nous attire avec Glorafin. Onlorgne alors très franchement du côté « musiques du monde » au début de ce morceau au rythme des tablas et des grelots. Mais très vite,le morceau bascule ,le vivace Yan chin s'impose ,glaçant ,et la mélopée subjugue . Un des plus beaux morceaux de l'album.

 

C'est un changement de registre total qui nous attend après un bref intermède ,Majhnavea's Music Box,aussi vibrant qu'étrange. Lorsque résonnent les premières notes de Largo ,le contraste est franc ,quelque peu déroutant. Lisa se lance dans l'interprétation de l'aria d'ouverture d'un opéra d'Haendel (Xerxes). La pièce ,Largo (Umbra Mai Fu), fut interprété par de nombreuses chanteuses lyriques confirmées. La prestation de Lisa Gerrard n'a rien à leur envier,bien au contraire.Sa magnifique voix de contralto dramatique,à la profondeur de timbre et à l'amplitude inouïe fait merveille. Non seulement sa tessiture grave offre une émotion rare mais il semble que les sons sortent naturellement,sans effort, avec cette alliance de puissance ,justesse et pureté qui n'est que nectar pour nos oreilles.L'inspiration baroque habite également l'émouvant Werd et sa ravissante mélodie jouée par la section des bois de l'orchestre philharmonique australien : flûtes,clarinettes,bassons et hautbois .

Avec Laurelei,Lisa a-t-elle voulu revisiter la mythe de la Lorelei D'Heinrich Heine ,sirène démoniaque à la façade angélique , ou la Lorelei d'Appolinaire,belle ,vénéneuse et condamnée?

La mélopée qui retentit porte des accents folkloriques moyen-âgeux et se construit de manière très répétitive ,en s'animant de variations rythmiques ou d'intentions différentes dans la déclamation de la mélodie. Malgré cela ,le morceau s'essouffle vite et manque de séduction pour nous enivrer ,en dépit d'un bel accompagnement de bouzouki.

 

Projetés d'un monde à l'autre abruptement, nous glissons à nouveau vers l'Asie Centrale au son des vocalises chamaniques de Celon . Les sons purs et extatiques s'élèvent dans un espace impressionnant de résonances et de vibrations.Les chants harmoniques mongols font entrer l'auditeur dans la sphère du spirituel et du sacré. En un tour de passe- passe,le décor change à nouveau et la musique européenne de la Renaissance reprend vie dans l'introduction de Venteless,au son des bois de l'orchestre. Pourtant,les chants chamaniques ne sont pas loin. Les deux mondes fusionnent et,avec une gravité austère de monastère,la majeure partie du morceau est portée par des harmonies vocales qui s'insinuent délicieusement en nous .

Dernier apport de lumière avant une ombreuse fin d'album,le dansant Swans exhale encore les vapeurs de l'orient. Refonte d'un morceau de Dead Can Dance ,Arabian Gothic (que l'on trouve sur Gothic Spleens ,sortie non officielle d'un enregistrement radiophonique de 1990),cette dernière touche d'exotisme fait office de danse du cygne avant le crépusculaire Nilleshna ,auquel on reste suspendu, tant le hautbois suave et les claviers spatiaux se révèlent enchanteurs.

Le lugubre morceau final Gloradin nous laisse nous perdre dans les profondeurs abyssales de la voix de Lisa. Versatile,elle produit ici sa tonalité la plus grave et pénétrante et nous abandonne là ,dans la désolation la plus totale.

 

Succession de tableaux , The Mirror Pool n'obéit à aucune logique,passant sans transition d'un univers à l'autre,opérant des allers-retours dans une alternance de couleurs et de saveurs sonores.

Il peut refléter un manque de cohérence,déranger par son éclectisme et sa longueur. Mais voilà, pour comprendre et embrasser le monde de Lisa Gerrard, il faut le ressentir comme elle,non plus comme un espace régi par l'intellect ,mais uniquement comme un chemin que le cœur et les sens peuvent emprunter.Il en résulte une musique passionnée,démonstrative ,vivante,dans toute sa diversité, mais aussi parfois pesante ,par la quantité d'émotions et de pathos qui s'y déversent.

Cet état d'esprit,pour être partagé,demande ouverture et sensibilité. Faites un pas vers elle, et Lisa vous mènera de l'autre côté du miroir...

 

Lisa Gerrard (Dead Can Dance) - Sanvean

20 juin 2016

Dead Can Dance -Anastasis - 2012

anastasis

De 1984 à 1996 et en 7 albums ,Dead Can Dance a marqué singulièrement le monde de la musique,autour d'un style qui n'appartient qu'à lui. Musique innovante,par l'ouverture kaleidoscopique de cultures fusionnées,spirituelle et hypnotique,à l'image des personnalités aussi fortes que différentes des deux figures du duo,Lisa Gerrard et Brendan Perry. Le tandem,qui proposa en 1996 Spiritchaser pour ultime offrande,se reforma pourtant en 2005 pour une tournée européenne et nord-américaine. Les fans attendirent l'album naissant de cette réunion,mais ce n'est qu'en 2012,16 ans après Spiritchaser,que la résurrection eut lieu ,avec une nouvelle tournée et la sortie d'Anastasis. La question était de découvrir si groupe ne s'était ni fané,ni perdu avec le passage des années et l'investissement dans des projets solos. Allaient-ils surprendre,se renouveler, reprendre les mêmes ingrédients, combiner innovation et maintien de leur identité ?

Durant ces 16 années ,Lisa avait acquis une belle reconnaissance pour son travail cinématographique .Elle travailla en effet sur nombre de bandes originales,où sa voix angélique et sa mystérieuse glossolalie firent merveille. Dans le même temps, elle composa 4 albums solos et pris part à de nombreuses collaborations. Brendan ,quant à lui,composa 2 albums dans lesquels il démontra ses qualités de songwriter. Avec Anastasis, Brendan et Lisa étaient-ils parvenus à dépasser les divergences artistiques qui avaient mené à la séparation du groupe en 1998 et à unir leur voix et leur personnalité pour de parfaites retrouvailles ?

 

Introduction foudroyante, Children Of The Sun capte aussitôt notre attention en délivrant une sublime émotion . Le rythme lent,à la puissance sensuelle et contemplative,nous pétrifie dès les premières secondes. S'y ajoutent la force mélodique véhiculée par le chant de Brendan ,aussi maîtrisé et intense que par le passé ,et des claviers solaires de toute beauté. Avec ce morceau ,Dead Can Dance fête la réouverture des portes de son univers ,depuis si longtemps scellées ,et accueille en grande pompe son auditoire. Ce Children of The Sun,radieux,se déroule tel un tapis rouge pour honorer les retrouvailles du groupe et de ses fidèles. On retrouve ce rythme répétitif,constante du groupe ,ici posé avec ampleur et majesté,installant l'atmosphère dans laquelle on se plaît à se lover pour apprécier le spectacle:résonance sacrée du gong,scintillement du Yanqin, pétillement de percussions légères autour d'un clavier magnétique. Le paysage sonore s'assombrit alors et on assiste à l'éclipse solaire ,suivie d'une déferlante de sons de cuivre quand l'astre souverain brille à nouveau ardemment ,hissant le morceau au premier rang des compositions du groupe. Cela commence très fort ! On retrouve également les thèmes chers au groupe,l'élévation de l'humanité,son aspect sacré, au travers d'une mémoire ancestrale et de son inscription intrinsèque dans des temps immémoriaux.

 

Après ce morceau d'excellente facture, c'est le retour de l'ailleurs exotique avec Anabasis,entraîné par un rythme pénétrant. La rythmique satinée exécutée au hang(instrument inspiré du gong qui laisse résonner de belles harmoniques) accompagne les vocalises de Lisa,qui garde son identité inimitable en nous offrant à nouveau une mélopée orientalisante. Nous retrouvons le jardin féerique vers lequel nos errances hypnotiques nous avait menés en écoutant The Serpent's egg.

Lisa mène une nouvelle fois la danse dans le chaloupé Agape,qui n'est pas sans rappeler Into The Labyrinth par sa richesse rythmique et sa subtile orchestration. Une nouvelle fois envoûtant,ce morceau possède un rythme voluptueux qui engendre l'ivresse.  Agape ,qui signifie « amour inconditionnel » est un hymne à la sensualité. Le chant de Lisa,puissamment séduisant,évocateur de folklore et de légendes,emporte.

 

Alors que Lisa a déposé ,avec ses vocalises, chaleur et suavité exotique,Brendan nous glace avec le désenchanté ,mais non moins magnifique, Amnesia . Sur un thème qui l'avait déjà inspiré en 2010 avec le très sombre morceau This Boy sur l'album Ark ,Brendan chante son affliction en constatant l'amnésie collective des hommes face à leurs erreurs. Mis à part la constatation d'une distance artistique qui transparaît jusqu' ici dans l'album de la réunion (puisque Brendan et Lisa semblent évoluer chacun dans leur domaine),nous ne pouvons qu'apprécier cette composition d'une mélancolie savoureuse. Ponctué de Dulcimer,d'un motif de piano revêtu de claviers dominants,Amnésia s'auréole de la voix de Brendan. Celui-ci , sous les traits du fascinateur qui place en son interprétation une redoutable implication,libère une mélodie résignée mais fervente.

 

Kiko s'installe en Grèce. Au son du bouzouki,emblématique du folklore grec,le groupe présente son hommage au zeibekiko,une danse traditionnelle masculine grecque,lente et tournoyante. En exécutant cette danse ,appelée aussi « danse de l'aigle »,le danseur solitaire ne semble plus dépendre du monde qui l'entoure,il descend puis s'élève ,semblant ,d' un air grave ,mettre ses démons au défi.

Mais la musique de Dead Can Dance va toujours au-delà d'un simple copié-collé d'éléments empruntés à d'autres cultures. Le morceau s'épanouit donc dans un horizon plus élargi. L'ondoyant jeu de bouzouki complète la mélodie impénétrable vocalisée par Lisa dans une atmosphère nébuleuse. Avec ce chant libre,ouvert à tous les possibles, Lisa montre son attachement à cette volonté de ne pas « se laisser enfermer dans la prison du langage ». Le morceau se développe sur un tempo si ralenti que le temps paraît suspendu,dévoué à la contemplation extatique,à l'entrée en transe du danseur.Le final instrumental est une combinaison réussie entre la chaleur,l'ouverture insouciante des notes volatiles de bouzouki et la pesanteur du rythme doublé de la froideur des claviers,parfaite fusion des différentes esthétiques qui définissent l'identité du groupe.

 

Avec une introduction qui sonne comme une portion du labyrinthe de 1993,on note un remarquable travail sur les percussions dans Opium,qui électrise au rythme de tambours iraniens (dafs) relevés par la présence brillante du hang et l'efficacité de percussions de type djembé ou derbuka. Une basse à la pulsation sombre accompagne un rythme marocain atypique . Les cymbales,tranchantes, traversent le morceau ,tandis que progresse la mélodie chantée par Brendan ,et son message fataliste,presque nihiliste « All roads look the same, they lead nowhere ». Désabusé,Brendan incarne à nouveau le poète et ses tourments,tentant d'oublier les déceptions de l'existence dans les vapeurs d'opium.On est frappé,encore une fois,par la prégnance du vocaliste dans ce morceau. La force de son interprétation est magnifié par des claviers exaltés qu'on pourrait très bien imaginer superposés de choeurs lyriques.

 

L'Irlande s'invite à la fête quand retentit la cornemuse de la très solennelle introduction de Return of the She-King . Par la même occasion, l'ambiance moyen-âgeuse d'Aion refait surface. Puissant ressort de l'imagination,ce morceau évocateur fait naître en nous nombre d'images et de paysages. Balayant définitivement nos doutes (déjà bien ébranlés par Kiko et Opium),il montre que cette réunion n'est ni forcée ni illusoire et qu'elle témoigne bien d'un élan artistique commun.

Brendan et Lisa allient leur voix et leur charisme respectif pour porter cette pièce au niveau des morceaux les plus majestueux du groupe. Tout y est : des voix souveraines composées de choeurs graciles et d'une céleste polyphonie,autour de la mélopée douce et étrange de Lisa, des sons de cuivres et de cordes épiques, un rythme apaisant mais grandiloquent délivré par un tambour détonnant contrasté par le cliquetis régulier des cymbalettes. On hume avec délice ces notes aériennes,dans une respiration ample et profonde et soudain, les voix de Brendan et de Lisa se mêlent pour une conclusion enchanteresse,à l'intensité croissante.

 

Enfin, c'est la voix de Brendan qui rayonne dans un morceau final épuré. Les multiples images qui ont peuplé notre imagination au long de l'album s'effacent ,se diluent dans une vaste étendue de vide. Cet espace vierge ne s'anime que de l'intense réverbération de cette voix solitaire et d'un accompagnement simple mais brillant de claviers. Vaporisation d'optimisme ,éloge de la patience All in Good Time a la profondeur des espaces apaisants vers lesquels on glisse volontiers ,pour un lâcher-prise salvateur de quelques minutes,et que l'on quitte à regret.

 

Dead Can Dance a toujours su conjuguer sa sensibilité sombre ,d'esthétique romantique et un engagement vers des références aux « musiques du monde ». Anastasis poursuit dans cette lignée. On pourrait reprocher au groupe un manque d'innovation dans cet opus et l'absence d'une idée directrice forte,mais que cet album est soigné,intense et captivant ! Résultat d'une dynamique complémentaire,ces compositions sont toutes habitées par la magie du groupe, magie qui ,malgré deux chemins artistiques différents,ne les a pas quittés lorsqu'ils se réunissent.

4 ans après Anastasis,qu'advient-il de Dead can Dance ? Les studios de Quivy Church sont en vente. Une tournée annoncée pour l'automne 2015 a été annulée,avec la promesse d'un report,mais depuis cette annonce,c'est le silence...

J'espère pourtant que les braises en sommeil d'un groupe qui a su marquer son temps se ravivent et que ce réveil soit synonyme de régénération,à la manière d'un végétal qui , grâce aux racines qu'il a conservé ,puisse dévoiler au monde une arborescence toujours plus luxuriante et étonnante.

Survivre à sa résurrection,c'est le moins que l'on puisse faire après avoir ,durant ces années fertiles glané et réinjecté tant d'influences,expérimenté tant de matière et montré l'étendue de sa créativité.

Survivre à sa résurrection, c'est surtout de rigueur lorsque l'on s'appelle Dead Can Dance.

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 > >>
Arrived Somewhere
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 11 152
Archives
Publicité