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Arrived Somewhere
23 octobre 2015

Gazpacho - Molok - 23 octobre 2015

molok

Je m'engageai dans les étranges contrées sonores de Gazpacho à la sortie de March Of Ghosts. J'entrepris alors un voyage à rebours vers de magnifiques albums.

Tantôt émue, intriguée ou fascinée, j'y trouvais aussi matière à réflexion, tant leur musique est avant tout conceptuelle. Je naviguai à la frontière entre rêve et réalité avec Night, je m'isolai en haut d'un phare en méditant sur l'idée de destinée avec Missa Atropos, j'errai dans un désert de solitude au son de Tick Tock. Avec Demon, la quête de la source du mal m'envoûta graduellement, tel un mystère ardu à percer. Molok cache lui aussi bien des mystères et des questionnements.

La musique sert une histoire, un concept et un ensemble de considérations philosophiques.

Pompeuse ? ennuyeuse , cette intellectualisation de la musique ? Non car elle prodigue à l'album sa cohérence . Chaque note, chaque bribe de texte a un sens et transporte l'auditeur dans un voyage aux multiples facettes.

 

La première chose qui m'a frappée est la lenteur et l'aspect langoureux de l'album. Le temps semble distendu, à mesure que chaque syllabe est scandée. Durant « Molok Rising » cette impression est à son paroxysme . On ressent une profondeur, une plongée explorative dans l'abîme où s'opère l'étirement du temps. Cette impression est renforcée par l'utilisation d'instruments de musique primitifs, notamment des percussions jouées avec des pierres ou l'utilisation de mâchoires d'orignaux. Pour cela le groupe fit appel à un spécialiste de ces instruments, Germund Kollveit.

Cet aspect lent et jouant sur la temporalité sert le concept de l'oeuvre car on nous raconte l'histoire d'un homme qui inventa une machine capable de calculer le futur , se basant sur la théorie des réactions en chaîne selon laquelle chaque événement est le résultat d'un précédent et en déclenche un autre.Il nomma cette machine Molok, du nom d'une divinité sacrificielle.

 

Ce qui m'interpella en premier lieu également est la prédominance de la voix, fréquent chez Gazpacho, mais pas à un tel degré ,me semble-t-il .Le texte semble central, comme si tout avait été bâti autour de ce lui-ci. Il serait intéressant d'en savoir plus sur le processus créatif du groupe. Le résultat est le sentiment que l'instrumentation se fait l'écrin de la voix de Jan et du message qu'il veut porter.

Les mélodies, quant à elle, ne sont pas évidentes et c'est à mesure qu'elles s'imprègnent dans la mémoire qu'on peut se blottir dans des atmosphères tantôt ouatées, tantôt frémissantes. On cherche, au début ,des points d'accroche. On est désorienté et à mesure que ces morceaux trouvent leur place en nous, on discerne plus clairement la luxuriance à travers la brume et le grandiose dans l'étrange.Comme avec Demon, après un certain nombre d'écoutes, on est en mesure d'apprécier pleinement la subtilité de cette musique nuancée et obsédante.

 

La place de Dieu est questionnée, le sens de l'existence et la place de l'Homme dans l'univers.Besoin d'ériger des temples, vanité des existences, besoin de se raccrocher à un guide, un maître,place des théories scientifiques dans l'humanité et ses croyances sont autant de thèmes soulevés ici.  Alors que Molok, la machine, acquiert le statue de divinité,l'adoration des dieux à travers les âges transparaît. La musique revêt un aspect mystique, fait de rythmes lancinants , de choeurs , d'ambiances vaporeuses ou passionnées.

 

Avec Molok, Gazpacho veut repousser les limites de la création. C'est ainsi qu'on nous annonça avant la sortie de l'album, que celui-ci était capable de détruire l'univers, ni plus ni moins, sous l'effet d'un signal sonore produit à la fin du disque. Je ne pense pas que l'auditeur ait une inquiétude particulière à l'idée de faire résonner ce fameux son. De mon point de vue, l'idée est plutôt d'apporter une touche supplémentaire de mystère , tout en appuyant le concept présenté.

Ce concept tient un très grand rôle, mais n'en oublions pas la musique. On a parfois l'impression que l'instrumentation pâtit de la prédominance vocale et on aurait apprécié des passages instrumentaux plus longs, plus de digressions instrumentales franches là où on reste parfois dans l'exploration de divers sonorités et la création d'un tissu d'ambiances. Malgré cela, la recette fonctionne . Point ici de mélodies trop faciles. On baigne dans des ambiances sensibles et captivantes.

Le premier morceau « Park Bench » nous aspire dès les premières notes dans le vortex temporel, à coup de percussions tribales, d'une basse monstrueuse autour desquels flottent de mystérieuses harmoniques. D'abord sombre et caverneux, le morceau prend un aspect lumineux et solennel avec l'orgue et les choeurs.

Le mystique instrumental « Algorithm » nous replace dans le désert de Tick Tock avec sa rythmique et ses sonorités orientales. L'envolée est sublime, la voix se fait souffle et on plane avec sérénité. La pièce maîtresse de l'album est le morceau final « Molok Rising », au tempo lent et aux accords teintés de gravité . Une hypnotique nappe sonore crée comme un engourdissement, une impression de ralenti et d'étirement du temps. Les effets sonores sont absolument incroyables ! On salue la grande qualité de la production sur l'ensemble de l'album d'ailleurs. Ici, c'est un déferlement de sons étranges et à la texture épaisse, de violons dramatiques associés à des tintements de cloche ou de pendules. Morceau remarquable avec lequel Gazpacho signe un de ses chefs-d'oeuvre.

 

Entre ces fantastiques offrandes, on trouve le séduisant « Master's Voice » , qui pose sa mélancolie au moyen d'une mélodie langoureuse et cotonneuse, un retour à l'univers de Demon avec « Bela Kiss » et son accordéon balkanique, le superbe et dramatique « Know your Time » ou l'accrocheur « Choice of Ancestors », résonnant comme un hymne. On s'oxygène avec l'aérien « ABC », avant que le souffle se fasse plus court sur l'inquiétant « Alarm ».

 

Gazpacho affirme son identité avec Molok. On y reconnaît bien sa patte , son goût du mystère, ses compositions sous forme de structures complexes qu'il faut prendre le temps d'assimiler.

Lorsque le dernier son retentit, l'album laisse songeur, avec l'envie d'y replonger afin de percer d'autres mystères, de flotter dans ces ambiances si particulières, d'aller à la rencontre de nouvelles sensations, celles qui nous auraient échappées et qui se révèlent délicieusement au fil des écoutes.

 

 

Gazpacho - Know Your Time (taken from Molok)

 

Artwork par Antonio Seijas

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Commentaires
D
très belle chronique pour un non moins très bel album de Gazpacho !!! un de plus !!!
J
Superbe chronique, je suis en train d'écouter l'album pour la deuxième fois en ce moment, et je suis d'accord, ce qui frappe c'est la langueur qui empreint cet album. Mais comme ils le disent eux même sur leur site, "vous allez vous ennuyer aux premières écoutes", bien que je ne m'ennuie pas...Les mélodies ont l'air sublimes, mais il faudra des écoutes répétées pour en retirer le sens.
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Merci beaucoup ;)
D
Très belle chronique, comme toute celles que vous faites par ailleurs. Quand à Gazpacho, c'est pas de la soupe, c'est de la poésie et c'est magique
Arrived Somewhere
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